Dix jours. Dix jours déjà de confinement.

J’avais quitté le monde et ses routines dès lundi 16 mars au soir, après avoir accueilli mes enfants, amis et petits-enfants pour fêter mon anniversaire et m’être laissé la journée pour tout préparer. Depuis ce jour, j’ai réduit mes déplacements au strict minimum, comme cela a été imposé dans tout le pays.

Ici en réalité, pas grand-chose ne change. Je vis dans un petit village, en pleine campagne, sur le toit de l'Aveyron, au cœur de l'Aubrac, entouré de maisons anciennes, sans clinquant aucun mais toutes, je crois, plutôt spacieuses et confortables derrière leur façade en vieilles pierres et leur toiture en lauze aux couleurs flamboyantes sous le soleil comme sous la pluie.

 

D’ici, si l’on met le nez à la fenêtre, il n’y a pas de différence notable avec un week-end qui s’étire. Tout juste se rend-on compte que moins de voitures passent par la rue principale du village. De temps en temps, un tracteur ronronne au loin… Depuis quelques jours ce qu’on entend le plus ici, ce sont les oiseaux. Dès que le soleil se met à briller, ils se déchaînent et lorsque leurs sifflements s’arrêtent de rares et courts instants, ou à la tombée de la nuit, une sorte de surprise s’impose, un suspens général. Comme si la nature se trouvait aussi incrédule que les hommes…

C’est vrai, ici rien n’a, en apparence, vraiment changé. Pourtant, comme tout le monde, confinés des villes et confinés des champs, nous avons un point commun ; où qu’on soit, la bonne humeur dépendra surtout du temps que va durer le confinement, de la conscience collective à faire ce qui est juste et aussi, avouons-le, un peu du beau temps...          

D'aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours aimé l’Aubrac. Ce pays de l’eau qui se faufile, des sources, des méandres et des reflets, des couleurs du plateau, tantôt doré tantôt verdoyant et qui s’enflamme au coucher du soleil. C'est le pays des burons, ces maisons de pierres noires où on fabriquait le fromage. Un pays de lignes souples et de cieux démesurés, sans arbre ou presque et de murets de pierres qui serpentent sans fin.

Ce sont mes racines; ma famille y a vécu, mes parents y sont enterrés, mes amis s’y retrouvent notamment l’été, cette terre est particulière depuis toujours pour moi. Mais là, je l’avoue, cet attachement prend un nouveau sens… Un sens d’appartenance à cette terre en lui rendant grâce de son accueil et peut-être inconsciemment de sa protection. C’est, à n’en pas douter, ici que je dois être en ce moment avec ma famille.

J’aime Paris, la ville, ses sorties, ses activités, son business, son encouragement à l’action, son impression qu’elle donne que n'importe quelle personne vivant à Paris, par son travail, son courage et sa détermination, peut prospérer. Mais là, en ce temps particulier, je remercie cette terre qui m’héberge et m’accueille. C’est peut-être la première fois que j’ai le sentiment d'avoir de la chance d'être là plutôt qu'en ville… Ailleurs, de toute manière, je ne pourrai plus aller. Et pour quoi faire, pour le moment, de mieux qu’ici ? Je suis comme d’autres, aussi nombreux et privilégiés qui ont taillé la route des vacances qu’ils prennent d’ordinaire l’été pour côtoyer les grands espaces.

Pour nous tous ici, malgré les oiseaux qui chantent et le décor apaisant de l’Aubrac, l’ambiance est particulière ! Car, nous ne sommes pas en vacances, personne n’est en vacances… Ainsi, a-t-il d’abord fallu trouver un rythme nouveau, inédit, qui n’est ni l’oisiveté du cœur de l’été, ni celui, saccadé, des jours ouvrables. Très vite, le besoin s’est fait sentir d’établir un planning de mes journées pour m'empêcher de passer des heures devant un écran, mais aussi accomplir des activités musicales, de jardinage et créatives, bref m'organiser : pour lire, apprendre, et partager des moments imprévus avec mes enfants et quelques tâches ménagères... Mais si, mais si !    

Ces heures nous sont imposées par l’intérêt général, faisant partie intégrante nous-même de cet intérêt général, pour les autres et pour nous-même. Alors faisons de ces heures imposées et suspendues des heures précieuses, une expérience unique à partager. Avec ce sentiment profond de faire ce qu’il faut, pour nous, pour eux, pour tous ceux qu'on aime et pour tous ceux que qu'on ne connaît pas encore.

Ce morceau de vie, je sais aussi qu’il sera éphémère. L’échéance est aujourd'hui inconnue mais nous savons que la vie reprendra son droit, son cours. Tôt ou tard, nous reprendrons le chemin du bureau, de l’école et avalerons à nouveau les kilomètres pour assurer la routine de nos existences. Mais, si tout cela est possible aujourd’hui, c’est grâce à d’autres. Tous ces autres qui continuent de prendre des risques en travaillant. Tandis que je respire l’air doux et vivifiant du plateau de l'Aubrac, des infirmiers courent après des lits et les machines à intuber. Des médecins se partagent, la mort dans l’âme, entre malades du COVID-19 et des patients en cancérologie… Dans les supermarchés, des femmes portent et scannent de la nourriture du matin au soir pour soutenir l’afflux angoissé de la population. Je les imagine, coincées derrière leur caisse, ne pouvant reculer quand un client s’approche trop près et leur postillonne à la figure. J’imagine leur inquiétude de contaminer leur famille quand elles rentreront chez elles.

Tous, confinés au fond de nos maisons, reclus dans nos espaces, nous sommes étroitement liés les uns aux autres. En évitant d’approcher nos semblables nous protégeons les plus fragiles. En respectant les consignes, nous allégeons un peu la terrible mission des personnels de santé et de tous ceux qui prennent soin de nous. Avant qu’on nous sauve d’une embolie pulmonaire, ceux qui travaillent dehors satisfont nos désirs. Cela, je veux aussi le souligner et le partager… !

Le lien… La solidarité… l’humanité… Dans ces temps difficiles à surmonter, je les ressens, je les vis. Et, tout cela nous apprend à prendre conscience que la seule chose dans le monde qui est vraiment rare, qui a vraiment de la valeur, c'est le temps. Le bon temps. Celui de notre vie quotidienne…

Victor Laroussinie

La Ligue Auvergnate et du Massif-Central est une confédération internationale des associations originaires du Massif-Central créée en 1886. Elle a été fondée par Louis Bonnet pour défendre et unir les Auvergnats de Paris. Contact mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

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