MokaNotion du temps1

Le temps est ce qui passe. Le temps est ce qui passe quand rien ne se passe. Jean Giono

C’était le premier samedi d’avril après le virus. Un de ces matins à l’entrée du printemps, où le soleil émergeait dans une aube limpide et donnait à entrevoir les longues journées estivales àparesser sur le balcon.

Nous traversions le fameux confinement qui pétrifiait chacun face à soi-même. Troisième semaine sans sortir. Certains n’y tenaient plus. Pour moi, ce n’était que train-train habituel. 

Ce samedi-là donc, j’étais prêt à me couler dans ma petite place douillette près des bambous, avec l’espoir de chauffer ma vieille couenne sous des rayons que j’espérais ardents.

 

Je repérai l’endroit, flairai chaque recoin, tournai en rond histoire de respecter ma condition, m’assurai de la possession des lieux et de ma tranquillité et j’engageai un somme bien mérité.
Mmmmmmm… Que c’est bon, l’instant précis où les paupières s’abaissent lourdement. Le souffle ralentit, tous les muscles se relâchent, la brise caresse sensuellement ma pelure pendant que mes moustaches frémissent tout en délicatesse.
Voulez-vous connaître ma position favorite. Tête légèrement inclinée en appui sur le velours de mes pattes avant.
Dans ces moments, je pars pour quelque doux rêve, j’erre dans le lointain. Qui sait où. Je l’ignore moi-même.
Suis-je en train d’amorcer un face-à-face avec mes huit vies antérieures. Ce serait amusant. Passer de l’une à l’autre, franchir les siècles sans barrière. Remonter aux premiers félins d’Anatolie ou de l’Égypte ancienne. Me prendre pour le sauveur du Prophète, ce Muezza que tous les chats d’Orient vénèrent. Prédire l’avenir à la manière de Grimalkin qui guidait Nostradamus et émouvait Catherine de Médicis. Remplacer sur les parchemins de Montaigne Madame Vanity, que la plume grinçante du philosophe contournait pour ne pas la déranger en laissant de grands blancs dans le texte. À Key West rejoindre Furhouse, Dillinger, Crazy Christian, Snowball, Blanche-Neige et autres moustaches minaudant autour de leur géant barbu. Être le petit chat noir de Colette – ou son ombre –, à la rigueur celui de Rilke, mais surtout pas celui d’Allan Poe.
Sinon, rester moi.
Me rendre invisible, comme un chat sait y parvenir.
Les secondes s’envolent, elles s’évaporent dans le silence qui m’envahit. Je disparais en elles pour me fondre dans un univers intime où je peux rester immobile toute une éternité. Plus rien n’existe autour de moi, je n’existe plus pour personne.
Par quel miracle cela peut-il se produire.
Dissoudre l’instant.
Au début, les pensées se bousculent, obstruent mon espace mental. Puis elles ralentissent lentement, basculent d’un côté, de l’autre, s’éloignent pour finir par libérer l’horizon de ma conscience, comme des nuages vagabonds chassés par un souffle léger autour d’une montagne.
Ah, dormir. Plonger dans cet abîme d’incertitude qu’est le sommeil. L’inconnu de sa durée, de sa profondeur, du voyage étrange où il vous transporte.
Le sommeil n’est-il pas déjà le début de l’infini. Une petite mort de laquelle on se permet de revenir.
Voilà ce que j’espérais, ce samedi-là, dormir.
Las.
Non seulement au bout de quelques minutes un amoncellement de cumulus coupa mon radiateur naturel, le soleil. Comme ça, sans prévenir, en moins de temps qu’il n’en faut pour le sentir. Un tapis d’ombre me recouvrit des pieds à la tête telle une fulgurance sans éclat.
Mais en plus, un enfer sonore détruisit le silence dans lequel je m’étais inconsidérément lové.
Pris de frayeur, je bondis comme un pantin démantibulé.
L’étonnante concomitance des deux événements aurait pu donner à philosopher sur la théorie du hasard, ou sur une éventuelle volonté divine de m’interdire tout repos (quelle mesquinerie uniquement parce que nous n’étions pas le jour du Seigneur mais la veille). N’empêche, le résultat fut identique, impossible de ronronner peinard.
En bon animal, je sus rester darwinien et admettre la vicissitude du destin.
Passe encore pour les conditions climatiques, elles finissent toujours par s’améliorer. Les nuages ne sont pas éternels. Au reste, même en plein hiver, tapi à l’arrière d’une baie vitrée baignée d’un maigre rayon solaire, avachi sur la dalle tiède près du foyer ou enfoui sous une couette moelleuse avec juste le museau en prise extérieure, le plaisir d’une sieste tiède peut toujours vous gagner.
Non, ce jour-là, c’est mon maître que je détestai.
Le malotru provoquait un vacarme qui allait m’interdire jusqu’à la tombée du soir le moindre instant de quiétude.
Avait-il oublié le câlin baudelairien qu’il édictait à mon égard, chaque matin au réveil.
Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux.
Pouah. Quelle hypocrisie.
Pourquoi tant de haine.
Au tempo d’un barouf diabolique, il semait un chaos inouï dans toute la maisonnée.
Franchement, quelle mouche l’avait piqué.
À peine son café avalé, il se lança dans le démontage systématique de la moitié de l’appartement. À croire qu’il était pris d’une folie de l’enfermement.
Des heures durant, il dévissa, déboulonna, décloua, dé-martela, déclipsa, décolla, parfois dézingua, tout ce qui tenait lieu de meuble.
Absolument tout.
Lit, commode, armoire monumentale et ses portes-miroir lourdes comme des valises de plomb, dressing en intégral tringles-plateaux-étagères-rangements-glissière-boîtes, ainsi que tout son contenu chaussures-pantalons-vestes-chemises-cravates-polos-pulls, le bureau et l’immense bibliothèque en merisier emplie de livres (il est écrivain), la totalité des lampes depuis les plafonniers jusqu’aux appliques, les tapis dont celui aux longs cils de laine que je m’évertue à labourer de mes griffes.
Tout, je vous dis. TOUT.
Ma curiosité naturelle m’avait bien poussé à des incursions sur le chantier pour tenter de comprendre ce qui se tramait. Comme chaque planque possible disparaissait au gré des tours de visseuse ou des coups de marteau, le nu de la pièce s’agrandissait petit à petit. Je finissais chaque fois dans les pieds de mon maître.
Il me rabrouait d’un ton sec.
–Sacha, dégage de là.
Sacha, c’est moi.
Joli nom, non, vous ne trouvez pas.
Il m’a affublé de ce patronyme slave au prétexte qu’il n’est jamais parvenu à m’en inventer un original ou, pour le moins, proche de ma personnalité. Au début, il a eu beau chercher, son imagination offrait la triste aridité d’un désert rocailleux. Rien ne lui plaisait. Rien ne me plaisait non plus. Aussi avait-il passé les premières semaines en ma compagnie à me désigner vulgairement du doigt.
Ça… chat. Ça, chat.
Et ça l’amusait. Jusqu’à finir par me coller ce Sacha de facilité.
J’insistais dans mon indiscrétion, il s’arrimait à sa contrariété.
–Zut, tu vois bien que tu me gênes.
–Méouh.
Feignant de ne pas saisir l’ampleur réelle de l’entrave, je me plantais encore et encore devant lui.
Il s’énervait.
–Allez, ouste. Du balai, maintenant.
Peut-être ne connaissez-vous pas la ténacité d’un matou capable de revenir cent fois à la charge, par exemple pour réclamer son dû de pâtée vespérale – oui, oui, moi aussi, j’ai du vocabulaire. Aussi, n’en démordais-je point, à tourner sans cesse en danseuse dans son bric-à-brac. Il finit par abdiquer.
–OK. OK. Vieux brigand. Je vois bien que tu es inquiet. Tu ne comprends rien à tout ce capharnaüm. C’est juste que, à te voir rôder dans ce fatras, je me fais du souci pour ta sécurité. Je préférerais te voir camper dans le salon. Tu ne risquerais pas de t’enfoncer un clou dans la patte ou de te ramasser une planche sur le museau. De toute façon tu obtiens toujours gain de cause.
Tout en parlant, il continuait son bricolage forcené.
–Bon. Je t’explique. Le confinement m’a donné l’idée d’inverser les deux pièces. Tu vas me dire ce que tu en penses.
Faisant semblant d’arracher un clou, il me jeta un œil discret pour tenter de deviner ma toute première réaction.
Je ne frémis pas d’un poil.
–Est-ce que tu comprends. Je veux mettre le bureau là-bas et la chambre ici.
Je tournai légèrement la tête de côté et plissai la paupière à moitié.
–D’accord, je vois bien à ton regard matois que tu me prends pour un fou, que tu te demandes quel intérêt, d’un côté à gauche du couloir se trouve le bureau de l’autre côté à droite la chambre, et voilà qu’il veut mettre le bureau à droite et la chambre à gauche alors que les deux pièces font la même surface qu’elles ont chacune sa cheminée, son petit balcon sur l’extérieur et son petit placard annexe derrière la porte du fond. C’est à n’y rien comprendre, voilà ce que tu songes, n’est-ce pas. Va, n’aie aucun scrupule. Je sais pertinemment que si tu étais doué de parole, tu serais non seulement bavard mais sans doute très désagréable à mon égard.
Sur ce point je lui donnai raison.
Pour le reste, je demeurai en effet sceptique. Je m’étonnai même qu’il voulût tourner sa chambre vers l’ouest quand c’était si doux de se faire réveiller par un rai solaire filtrant à travers les persiennes au petit jour.
Mais je ne pipai miaulement, car du coup c’était moi qui en profiterais pour lézarder sur le lit dans une belle lumière de fin d’après-midi. J’émis un simple grognement. Qu’il considéra comme une marque de défiance sur son nouvel aménagement.

Le lendemain soir, je demeurai en extase devant le copier-coller parfait. C’était de la belle ouvrage. Tout à l’identique, mais dans l’autre sens, comme si un miroir avait été dressé à travers le couloir, donnant une impression symétrique de parfaite inversion. Chaque meuble avait été remonté comme auparavant, mais dans l’autre pièce, avec un agencement similaire.
À droite désormais, la bibliothèque encadrait le bureau face à la cheminée que le canapé et les fauteuils offraient en pâture pour les soirées d’hiver. À gauche, le dressing s’adossait au lit ouvert vers la fenêtre afin de prolonger les rêves dans le lointain d’un noir étoilé.
Le moindre boulon avait retrouvé son écrou et il n’y avait pas une vis orpheline, toutes les tablettes se retrouvaient clipsées au bon endroit, les étagères marquaient à nouveau leur territoire, les livres s’ordonnaient exactement, le linge était rangé en bon ordre et les lampes éclairaient le tout d’un jour nouveau et pourtant ancien à la fois.
Dans chacune des deux pièces, prises séparément, rien n’avait changé. La même atmosphère studieuse pour le bureau, avec son odeur de cuir vieilli et de livres anciens. L’ambiance chaleureuse de la chambre, avec son grand lit aux draps frais et ses placards sentant l’ambre semé par petites pierres aux quatre coins.
Je bondissais d’un côté l’autre, en feulant gaiement. Je voulais signifier à mon maître toute mon admiration pour son travail. Sincèrement. Mais je cherchais également à engager un brin de conversation. Car dans son acharnement et sa concentration depuis la veille, il n’avait jamais trouvé le temps de réellement m’expliquer, ou jamais daigné m’avouer sur le fond l’objet de tout ce remue-ménage.
Alors que le monde entier s’était endormi pour éviter un virus, lui venait de passer un week-end frénétique à jouer du muscle pour transformer la moitié de l’appartement.
Et j’ignorais toujours pourquoi.
C’était tout de même notre lieu de vie commune.
Fourbu par ses deux journées d’intense activité, il ne me considéra même pas, ouvrant machinalement ma boîte de thon, mais sans conviction, je le sentais bien. Je le voyais physiquement épuisé par cet abrutissant labeur, je consentis à lui pardonner et le laissai s’affaler, semi-inconscient, sur son matelas.
Il lui fallut plusieurs nuits pour s’habituer à son nouvel environnement. Moi aussi, je dus me concentrer pour m’adapter. Par exemple ne plus tourner machinalement à droite au fond du couloir lorsque je voulais rejoindre le douillet édredon du lit. Maintenant c’était à gauche. Pareil pour me cuire le dos aux flammes de l’âtre et ronronner à l’unisson avec le feu. Je devais tourner à droite vers le bureau où m’attendait sagement mon fauteuil de prédilection.
Puis un soir, alors que nous allions nous endormir tous les deux comme un vieux couple, lui sur le dos une jambe légèrement repliée à plat, moi engoncé dans le creux ainsi formé la tête avachie sur sa cuisse, mon maître posa délicatement sa main dans ma fourrure et, me caressant doucement, se mit à parler.
–Est-ce que tu entends, Sacha.
Il marqua une longue pause avant de me reposer la question. Face à mon indifférence, il insista.
–Tu n’entends pas, n’est-ce pas.
Pour ne pas le vexer, un faible couinement valut réponse de ma part. J’étais aux portes du sommeil.
–C’est normal que tu n’entendes pas, il n’y a rien à entendre.
Je soulevai une oreille, non pas pour ne pas entendre ce qu’il n’y avait pas à entendre, mais pour être bien sûr de saisir ce qu’il me disait, ou plutôt ne me disait pas encore car je ne comprenais pas grand-chose à son soliloque.
Je commençais à le croire saisi de démence.
–Écoute ce silence.
Il se tut longuement.
De fait, aucun son ne parvenait jusqu’à nous.
J’ouvris un œil. Nous étions plongés dans le noir. Ni le moindre éclat de lumière ne brisait l’obscurité, ni le moindre écho ne vibrait à nos tympans. Le vide absolu. J’en pris brusquement conscience, flirtant d’un seul coup avec l’angoisse du néant.
J’imaginai alors l’espace qui s’ouvrait à nos âmes, le temps qui perdait sa réalité. Je nous voyais minuscules atomes dans un univers inconnu qu’aucun signe ne dévoilait.
Nous étions seuls dans un abîme d’incertitude.
D’autant que depuis le début de ce satané confinement, nous étions vraiment seuls. Pas une visite. Pas une sortie. Uniquement nous deux, à l’écart d’un univers replié sur soi.
Ma peur s’amplifia et me fit me dresser sur mes pattes.
–Tu vois, toi non plus tu n’entends rien, insistait-il.
En récompense de ce qu’il prit pour acquiescement, il m’offrit quelques câlins qui, à l’inverse, me rassurèrent à peine.
–C’est magnifique.
Sa voix dessinait un sourire dans la paix nocturne.
–Tu comprends, à présent, pourquoi j’ai inversé. J’ai eu raison, n’est-ce pas.
Il suspendit son propos à mon éventuelle réplique.
Je préférai m’abstenir de tout commentaire, profitai de ma posture verticale pour tournicoter deux trois fois avant de me réfugier à nouveau dans les replis de la couette en fermant les yeux afin d’oublier l’oppressant du noir et du silence mélangés, et en espérant conquérir Morphée.
Heureusement, le rythme tranquille de ses paroles – elles jouaient une musique apaisante ponctuée de demi-pauses ou de légers soupirs – me délivrait doucement de cet indicible trouble.
Lui paraissait totalement serein.
–Enfin, nos nuits sont plus douces, enchaîna-t-il. Quel bonheur. La vie va changer. Tu sais, Sacha, on ne s’en rendait pas compte, ni toi ni moi par la force de l’habitude, mais de l’autre côté nous avons vécu l’enfer. Est-ce que tu avais remarqué le bruit de la rue. Sans cesse ce défilé de moteurs vrombissants, comme si notre avenue était le circuit de Montlhéry. Les bus qui forcent leur première pour démarrer en côte dès que le feu passe au vert. Chaque matin à 6 h, le camion qui vient livrer la supérette juste en bas. Une demi-heure plus tard, le vacarme des bennes d’éboueurs. Sans compter les soirées qui n’en finissent jamais au bar d’en face entre les basses tonitruantes des concerts live, la bestialité inhumaine de certains beuglements lors des soirées football sur grand écran, le bruit permanent des verres et des bouteilles entrechoqués, et j’allais oublier les accros du tabac s’accaparant le trottoir sans baisser d’un ton pour achever leur discussion acharnée sur le monde à refaire. Là, juste sous notre fenêtre. Tu y crois, toi. La loi antitabac dans les bars devrait être abolie, je te le dis.
Heu… Moi, quand je dors, je dors. Pour être franc, tous ces murmures de la vie citadine ne m’avaient pas particulièrement écorché l’ouïe. Après tout, choisir de vivre dans une métropole c’est en accepter les contraintes, vous ne pensez pas, non. Est-ce que je réclame, moi, d’aller gambader dans les prés à la poursuite des papillons, de chasser le mulot des champs, ou de grimper aux arbres des sous-bois.
–J’en ai pris conscience, renchérit mon maître, quand tout s’est arrêté par la force des choses il y a quinze jours. Depuis que toute circulation est interdite, le silence nous envahit. Je ne serais jamais assez reconnaissant à ce confinement pour une telle illumination. Mais le plus important n’est pas là mon vieux.
Ah. Je soulevai la paupière en point d’interrogation, à la conquête des méandres de sa pensée.
–Certes ce calme absolu est génial, nous pouvons dormir la fenêtre ouverte côté cour, et avoir un peu d’air. D’ailleurs as-tu remarqué comme les trilles en provenance du parc voisin viennent nous chatouiller les tympans. Ces oiseaux sont quand même plus agréables que l’ancien raffut des bagnoles.
Il marqua une pause, comme s’il concentrait son attention sur un concert imaginaire venu des arbres, puis reprit.
–Mais surtout, au-delà de la tranquillité, je constate un autre phénomène, très inattendu celui-là, mais pas anodin. Je gagne du temps.
Pas de doute, il délirait pour de bon.
Comment un brin de calme pouvait-il jouer sur l’horloge de la cuisine dont les aiguilles, impassibles, tournent toujours au même rythme inaltérable et régulier. J’étais de plus en plus inquiet.
Il insista.
–Oui, je gagne du temps. J’ai l’impression de dormir beaucoup plus longtemps. Toi aussi, par là-même. C’est incroyable comme nos nuits se sont rallongées, tu ne trouves pas.
L’asile, vous dis-je.
Le réveil sonnait chaque matin à 7 h tapantes exactement comme avant puisque, confiné ou pas, il écrivait à partir de 8h pour une durée liée à son inspiration. Après son déjeuner, il travaillait sur Internet (d’ordinaire, il sortait aussi en ville, option inaccessible en ce moment). Il dinait d’un rien vers 19 h et on se couchait à 23 h 45 précises après ses deux heures et demie de lecture post JT.
Donc, aujourd’hui comme hier, de la même manière qu’avant l’échange standard des deux pièces du fond, qu’il y ait confinement ou non, nos nuits duraient exactement sept heures et quinze minutes, soit cinq cycles d’une heure vingt-sept minutes pour lui et quinze cycles de vingt-neuf minutes pour moi.
Élémentaire.
–Bon, OK, reconnut-il. Je te vois venir. Tu vas me dire que nous passons le même temps au lit. Pourtant je t’assure Sacha, avec une telle quiétude j’ai la sensation qu’on a multiplié notre récupération par deux. Les nuits ne sont pas plus longues mais plus profondes, donc doublement réparatrices.
Il marqua une brève pause, pour mieux enchaîner.
–Du coup je me sens nettement plus en forme le matin, je reste frais et dispo tout au long de la journée, et face à la page blanche mon imagination galope. J’écris, sinon mieux, au moins davantage. Étonnant, non. Ce déménagement m’aura permis d’améliorer à la fois le repos de mes nuits et l’intensité de mes journées. Décidément, je ne le regrette pas. Merci le virus.

Ignorant s’il voguait déjà au fil de ses rêves, s’il doutait comme Descartes de la différence entre songes et réalité, ou s’il avait réussi à dissoudre l’instant pour de bon, je l’abandonnai à ses élucubrations et m’enfonçai dans ce qui constitue les deux tiers de ma vie – là, c’est une certitude : un profond sommeil.

Bernard Thomasson (Prix Arverne 2015)

1 Adapté d’une des nouvelles du recueil Le Fil du temps (2019, MM2M).

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